Mali - Suivi longitudinal au Mali - Enquêtes Bwa (1987-2010)

Depuis 25 ans l'Institut national d'études démographiques (Ined) a réalisé l'observation suivie d'une communauté rurale du Mali (7 villages, 4300 habitants en 2009) afin de contribuer à l'analyse des conditions de la transition démographique dans une région du monde caractérisée par la persistance de niveaux de fécondité particulièrement élevés.

Contexte et objectifs

L'enquête Suivi longitudinal au Mali (SLAM) est une observation longitudinale d'une population rurale au sud-est du Mali. Son objectif est de documenter, sur le temps long, la dynamique démographique (mortalité, nuptialité, fécondité, migration) et le changement des rapports familiaux et sociaux, entre sexes et entre générations, d'une population rurale soudano-sahélienne.

Les thématiques ayant plus particulièrement été examinées dans le cadre de SLAM concernent :

- le mariage et la dynamique matrimoniale (formation des couples, itinéraires pré-conjugaux, âge au mariage et durée de vie en union, divorce, polygamie),

- le passage à l'âge adulte,

- la structure et la dynamique des unités économiques familiales (groupes domestiques = zun),

- les migrations juvéniles, notamment des jeunes filles, et leur signification en terme de genre,

- l'évaluation méthodologique permise par la disponibilité de différents types de données (mesure de l'émigration, déclarations des hommes et des femmes…).

- Les problématiques liées à la conjugalité et à la parentalité, ainsi que l'environnement familial des enfants, ont été étudiées en particulier dans le cadre d'un projet sur les Dynamiques de la parentalité et de l'enfance (DyPE) entre 2012 et 2016 ).

Couverture géographique et population étudiée

La population étudiée se situe au sud-est du Mali, dans l'aire ethnique des Bwa (au singulier Boo), à 450 km environ de Bamako et à proximité du Burkina Faso. Plus précisément le suivi de population couvre 7 villages avec au total 4300 habitants en 2009, l'année de la dernière collecte réalisée.

Comme la plupart des populations de la région, les villages étudiés se caractérisent par des indicateurs de développement socio-économique et humain très faibles. L'économie, basée sur une agriculture vivrière (mil) et un mode de production familial, est fragile et sujette aux aléas climatiques.

Un tournant s'opère depuis les années 1990, contexte marqué au niveau national par l'avènement de la démocratie et le début de la décentralisation, au niveau local par l'investissement dans des programmes de développement et l'essor de la scolarisation (écoles communautaires). La scolarisation, en nette progression depuis les années 1990, concerne un peu plus de la moitié des enfants en 2009 pour le niveau primaire. À la fin des années 2000, la transition de la fécondité n'a pas commencé (8 enfants par femme en moyenne), la mortalité touche encore un enfant sur sept avant l'âge de 5 ans et la croissance naturelle est forte (de l'ordre de 3 % par an).

Les migrations, principalement intérieures au Mali, sont courantes dans la vie des individus et des familles. Elles permettent de diversifier les ressources, de faire face aux aléas climatiques et d'alléger la pression démographique. Religions traditionnelle et chrétienne coexistent ; la pratique de l'islam est quasiment inexistante dans les villages étudiés.

L'organisation spatiale et sociopolitique repose en premier lieu sur les villages : ils fonctionnent encore largement selon le modèle ancien comme une communauté d'intérêt propre, avec son autonomie (ressources foncières, cultes traditionnels, décisions collectives), et ses propres structures politiques (Conseil des anciens et Conseil administratif). La solidarité communautaire y est entretenue par les rapports de voisinage et des pratiques festives hebdomadaires.

Les communautés villageoises reposent sur une structure multilignagère. Les patrilignages sont des unités exogames, détenant droits fonciers et responsabilités sociopolitiques et religieuses au sein du village. Ils sont eux-mêmes structurés en groupes domestiques (zun) où s'organisent l'activité agricole et la prise en charge des individus. Ces exploitations familiales sont souvent de taille importante et de structure complexe (polynucléaires pour la moitié de la population). Le zun ne correspond pas à un espace résidentiel, et ne peut être assimilé à un ménage ou une concession. Le plus souvent ses membres logent dans des maisons distantes et se retrouvent pour les activités collectives et les repas.

Le système social est construit autour des hommes : la filiation est patrilinéaire, la résidence est patrilocale et virilocale. L'organisation de l'entrée en union, autrefois formalisée par des processus longs et complexes contrôlés par les lignages, s'est affaiblie depuis les années 1990, conjointement à l'essor des migrations de travail des jeunes filles et plus largement un désenclavement lié à la démocratisation et aux politiques de décentralisation du pays. À la fin des années 2000, un tiers seulement des premières unions donnent lieu à une fête de mariage au village, contre 80% vingt ans plus tôt. L'âge médian au premier mariage est alors de 19,7 ans pour les femmes et de 23,1 ans pour les hommes. Les ruptures d'union sont fréquentes (30% de divorce dans les 10 premières années suivant le premier mariage des femmes). Quitter son mari est reconnu comme un droit des femmes, mais il impose des contraintes lourdes : quitter le village de son mari, lui laisser les enfants et se remarier. La polygamie existe principalement sous forme de bigamie, elle touche, à un moment donné, environ un cinquième des hommes mariés et un tiers des femmes mariées (Hertrich, V. et al. 2018 : Données généalogiques - Corpus Bwa SLAM 1988-2009 : Description des données et dictionnaire des variables, p. 1-2).

Le système de suivi longitudinal : des enquêtes renouvelées

Mis en place en 1987-89 par une enquête initiale, menée par Véronique Hertrich dans le cadre de sa thèse (Hertrich 1994 ; 1996), ce suivi longitudinal de population repose sur un système de collecte renouvelée tous les 5 ans environ, qui a permis d'actualiser les données en 1994-1995, 1999-2000, 2004, 2009-2010 (La collecte suivante n'était plus possible en raison de la situation d'insécurité dans la région).

L'enquête SLAM s'appuie principalement sur une démarche démographique et sur des enquêtes quantitatives. Cependant le système de collecte a été étayé avec l'adoption d'outils empruntant à l'ethnologie (généalogies, calendriers lignagers, observation participante…) et à la sociologie (entretiens individuels, entretiens de groupe…). En appui aux enquêtes quantitatives, des données généalogiques ont ainsi été collectées pendant plus de 20 ans à différents titres, et sur différents supports : diagrammes de parenté des groupes domestiques au moment des cinq recensements locaux (1988-2009), généalogies complètes des patrilignages de deux villages, données individuelles de l'enquête biographique, autres informations collectées au fil de l'eau.

Depuis le début du projet différentes opérations de collecte ont été réalisées :

1) les enquêtes quantitatives (enquête renouvelée et enquête biographique) répétées tous les 5 ans,

2) les opérations complémentaires qui leur sont associées (enquêtes sur les unités collectives, recueil généalogique, référentiels de datation)

3) et les opérations particulières réalisées à titre ponctuel : campagne d'entretiens qualitatifs sur l'expérience des rapports entre sexes et générations aux différents âges de la vie (réalisée en 2002), campagnes de restitution des résultats de l'enquête (en 2003 et 2009) qui ont permis l'enregistrement vidéo de sketches (réalisés par les villageois sur les sujets de l'enquête) ou relevé cartographique des structures villageoises (en 1989, 1994, 2006).

1) L'enquête renouvelée

L'enquête renouvelée consiste à suivre le devenir de la population d'un recensement à l'autre. Elle s'appuie sur la réalisation d'un recensement local à chaque passage et, dans un second temps, sur des entretiens auprès des familles pour compléter et valider l'appariement des données individuelles. L'enquête renouvelée porte sur l'ensemble des 7 villages.

Dans le cadre d'un partenariat déjà ancien avec la Direction nationale de la statistique et de l'informatique du Mali (DNSI, puis INSTAT), l'équipe SLAM a pu disposer des données des recensements nationaux pour les villages enquêtés et les intégrer à l'enquête renouvelée. Ainsi l'enquête renouvelée apparie les données individuelles des 9 recensements disponibles sur une période de plus de 40 ans (1976-2009).

La base de données des individus recensés au titre de résident à l'un au moins des recensements de la période 1976-2009 (1976, 1987, 1988, 1994, 1998, 1999, 2004 et 2009) compte environ 8300 enregistrements.

2) L'enquête biographique

Parmi les 7 villages couverts par l'enquête renouvelée, 2 villages font l'objet d'une observation plus approfondie, basée sur une enquête biographique. Cette opération est au cœur du dispositif d'enquêtes et d'analyse. Elle permet de décrire l'évolution des différents phénomènes démographiques (mortalité dans l'enfance, fécondité, migrations) mais aussi d'analyser les changements sociaux en cours, en particulier l'évolution des contrôles familiaux et des rapports de genre. En effet, les données y sont enregistrées non seulement du point de vue événementiel mais aussi en fonction du degré d'implication familiale (enregistrement des étapes et des acteurs des procédures matrimoniales, initiative et bénéfices de la migration, modalités d'accès à l'autonomie économique…). Lui sont également associés : un relevé généalogique des patrilignages, des référentiels de datation villageois et lignagers.

Pour environ 3400 individus la biographie a été enregistrée à l'un au moins des passages au titre de résident ou d'émigré.

Unités d'analyse

Ménages et individus