Inventaire d'enquêtes Demostaf

Alors que la transition de la fécondité débute dans de nombreuses villes africaines et s'étend dans certains pays des régions orientale et australe, les populations rurales d'Afrique de l'Ouest maintiennent un niveau de fécondité élevé : la contraception moderne y est quasi-inexistante et le souhait d'une nombreuse descendance reste partagé par tous. Pourtant, derrière cette apparente inertie, de nouveaux types de comportements et de relations s'expérimentent au sein des familles et contribuent au développement d'une réflexion sur les objectifs et comportements de reproduction. Difficiles à saisir par les enquêtes standardisées, ces changements doivent cependant être identifiés si on veut non seulement connaître les temporalités des transitions africaines mais aussi comprendre les logiques sociales qui les portent. C'est dans cette perspective qu'un système d'enquêtes original, conciliant l'observation des dynamiques familiales à celle des comportements démographiques, a été développé dans une petite population du Mali, appartenant à l'ethnie des Bwa. Articulant différents niveaux d'observation (individuel et collectifs) et plusieurs types d'enquêtes (une enquête biographique, une enquête renouvelée, un recueil généalogique, des enquêtes sur les unités collectives), il met en évidence des changements, déjà sensibles, dans la constitution des couples et les rapports entre générations dans cette population que les indicateurs socio-économiques (activités, scolarisation, infrastructures.. .) classent pourtant parmi les plus traditionnelles. Paradoxalement, les changements dans le mariage ne s'opèrent pas là où les attend le démographe : le recul de la nuptialité féminine que prédit le modèle de la transition démographique n'a pas lieu. En revanche, l'entrée en union des hommes se fait plus précoce grâce à un assouplissement des procédures précédant les mariages. Tandis que les intéressés interviennent de plus en plus souvent dans les décisions matrimoniales, les exigences des familles (notamment en terme de prestations) s'allègent, les processus se raccourcissent et des signes, encore timides, d'une privatisation des affaires matrimoniales apparaissent. Une certaine construction conjugale se dessine dans la formation des couples : les projets matrimoniaux des hommes se font moins dispersés et ils débutent leur vie conjugale plus tôt que leurs aînés, et plus souvent avec une femme également célibataire, celle qu'ils auront personnellement choisie. L'institutionnalisation de l'unité conjugale est cependant loin d'être acquise. En effet, la polygamie n'a pas régressé et les divorces, s'ils ont augmenté, semblent cependant relever moins souvent de l'insatisfaction des conjoints que de la détermination des familles à dénoncer une union qu'elles ne reconnaissent pas. L'évolution des unités économiques familiales ne permet pas davantage de conclure à un mouvement de recentrage de l'univers familial sur le couple : la plupart des individus vivent au sein d'une structure familiale polynucléaire et la taille des groupes domestiques n'a pas diminué sur la période intercensitaire 1976-1988. La stabilité formelle des configurations familiales n'est cependant pas synonyme d'inertie. Au contraire, compte tenu de la croissance naturelle, particulièrement forte, elle n'aurait pu s'observer sans le développement de mécanismes régulateurs : sans augmentation de l'émigration et (dans une moindre mesure) des segmentations, la taille des groupes domestiques se serait accrue. Ces deux phénomènes renvoient eux-mêmes à des changements dans les biographies masculines : l'augmentation de la mobilité masculine introduit de nouvelles temporalités dans la vie des hommes et le calendrier d'accès aux responsabilités familiales rajeunit. Ils sont également porteurs d'une redéfinition de l'espace familial, des rapports qui s'y nouent et de la perception qu'en ont les intéressés.